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Tension sociale permanente en Côte d’Ivoire: Crisis Group sonne l’alerte

Le chef de l’Etat ivoirien, Alassane Ouattara, et son régime sont convaincus que la réconciliation entre les Ivoiriens trouvera sa solution dans les incantations sur le taux de croissance économique. Pour le démontrer, ils ont opté pour la répression tous azimuts contre les opposants, particulièrement les partisans du président Gbagbo. Cette violente posture du régime ivoirien inquiète de nombreux défenseurs des droits de l’Homme. Après Amnesty international et Human Rights Watch qui ont dénoncé les violations à outrance des droits humains par le régime Ouattara, International Crisis Group a choisi de tirer la sonnette d’alarme sur les dangers d’implosion qui guettent la Côte d’Ivoire. Ci-dessous, la synthèse de ce communiqué et ses recommandations rendus publics hier sous le titre «Côte d’Ivoire : Faire baisser la pression».
SYNTHESE DU RAPPORT. En Côte d’Ivoire, la sortie de crise est menacée par une situation sécuritaire volatile et des blocages politiques. Le dernier trimestre a été marqué par une série d’attaques meurtrières qui ont visé un commissariat de police, l’un des principaux camps militaires du pays, plusieurs positions de l’armée et une centrale électrique. Ces incidents ont été précédés par d’autres violences à l’Ouest. Même si ces évènements ne constituent pas une menace immédiate pour la stabilité, ils indiquent que, pour certains, la guerre n’est pas terminée. Lenteur de la réforme du secteur de la sécurité, gel du dialogue politique, fragilité de la coalition au pouvoir, retour de la violence verbale, révélation de projets de coup d’Etat, doutes sur la réalité d’une volonté de réconciliation nationale, sont autant de signes préoccupants.
Le président Alassane Ouattara et son nouveau gouvernement formé le 22 novembre ne doivent pas compter exclusivement sur la relance économique et le verrouillage sécuritaire pour consolider la paix. La communauté internationale ne doit pas détourner son regard d’un pays dont la stabilisation est d’autant plus cruciale pour l’Afrique de l’Ouest que le Mali voisin a basculé dans une crise profonde et durable. Dix-huit mois après la fin d’un conflit postélectoral qui s’est soldé par la mort de plus de 3 000 personnes et qui ne constituait que l’épilogue d’une crise politico-militaire de plus d’une décennie, nul ne devait s’attendre à une situation totalement normalisée. La Côte d’Ivoire est confrontée aux problèmes classiques que connaissent les Etats qui sortent d’une guerre civile. L’appareil de sécurité peine à se remettre en ordre. En dépit de quelques progrès, les forces ivoiriennes restent déséquilibrées et divisées entre membres des anciennes Forces de défense et de sécurité (FDS), sous la présidence de Laurent Gbagbo, et éléments provenant des Forces armées des forces nouvelles (FAFN), l’ancienne rébellion. Ni leur comportement, ni les modalités de leur intégration au sein de la nouvelle armée, les Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI), ne favorisent la réconciliation. Les anciennes FAFN y occupent toujours une place dominante tandis que la police et la gendarmerie restent les parents pauvres.
Déployés sur l’ensemble du territoire, plus de 18 000 chasseurs traditionnels, les Dozos, participent à la sécurisation du pays, jouant un rôle pour lequel ils n’ont ni légitimité, ni compétence. Cette configuration de l’appareil militaire et milicien au service du pouvoir est mal acceptée, notamment par les partisans de l’ancien président Gbagbo, détenu à la Cour pénale internationale (CPI) à La Haye, aux Pays-Bas et qui pourrait être rejoint prochainement par son épouse Simone Gbagbo après l’annonce le 22 novembre de l’émission d’un mandat d’arrêt contre elle. La configuration actuelle du secteur de la sécurité exacerbe les tensions, en particulier dans l’Ouest, où les problèmes fonciers intercommunautaires s’accumulent. La lenteur de la réinsertion dans la vie civile des dizaines de milliers de jeunes hommes qui ont participé au conflit augmente leur frustration et les encourage à conserver les armes comme garanties de survie économique.
Volet crucial de la réconciliation, le dialogue entre le pouvoir et l’opposition est gelé et ne va pas au-delà des déclarations d’intention. Le Front populaire ivoirien (FPI), parti de l’ancien président Gbagbo, a choisi l’isolement en se retirant du processus électoral et en posant des conditions irréalistes à son retour effectif dans le jeu politique. Son aile modérée n’arrive pas à se démarquer d’une branche dure en exil qui nourrit l’espoir d’une reconquête militaire du pouvoir. La révélation, en juin, septembre et octobre 2012, de projets de déstabilisation qui seraient orchestrés depuis le Ghana par des anciens ministres de Gbagbo, des membres de sa famille et des officiers supérieurs qui lui étaient proches, a paralysé le dialogue politique et les perspectives de réconciliation. Il a convaincu les durs de l’autre bord, membres du Rassemblement des Républicains (RDR), le parti présidentiel, et des Forces nouvelles, l’ancienne rébellion, de la nécessité de consolider la victoire militaire obtenue sur leurs adversaires politiques et de maintenir une position répressive à l’égard de l’ensemble des représentants de l’ancien régime, modérés ou non.
Les remous politiques s’accompagnent d’un retour des propos haineux et dangereux relayés par une presse partisane aux ordres d’un camp ou de l’autre. Dans ce climat de polarisation, le gouvernement prend des décisions qui l’éloignent peu à peu de ses promesses électorales de gouvernance moderne et de rupture avec le passé qui ont permis à Ouattara de remporter l’élection présidentielle en novembre 2010.
Le système judiciaire fonctionne toujours à sens unique. Pas un seul élément des FRCI n’a été inculpé, ni pour les crimes commis durant la crise postélectorale, ni pour ceux perpétrés depuis lors. Des arrestations arbitraires ont lieu dans les milieux pro-Gbagbo, notamment effectuées par la toute puissante Direction de la surveillance du territoire (DST) et la police militaire. Dans l’administration et les entreprises publiques, des nominations régionalistes ou politiques sont effectuées au nom d’une politique de « rattrapage » peu en phase avec la modernité promise. De son côté, la Commission Dialogue, Vérité et Réconciliation (CDVR) peine à commencer un nécessaire travail de fond. La mise en place de ses comités locaux est laborieuse. Plus inquiétant, elle ne semble pas franchement soutenue par le pouvoir politique qui l’a mise en place l’an dernier avec force médiatisation. Le gouvernement tarde à mettre à sa disposition les ressources financières nécessaires à son fonctionnement tandis qu’est toujours critiquée la gestion très personnalisée de son président, Charles Konan Banny.
C’est dans ce contexte que la coalition au pouvoir a montré des signes de fragilisation jusqu’à la dissolution le 14 novembre dernier du gouvernement, un révélateur des dissensions croissantes entre le RDR et son principal allié, le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI). Mais la nomination le 21 novembre d’un nouveau Premier ministre, Daniel Kablan Duncan, issu comme son prédécesseur Jeannot Ahoussou-Kouadio du PDCI, devrait désamorcer la crise en ressoudant davantage une équipe gouvernementale, qui n’a en réalité que peu changé, derrière le président. Le nouveau Premier ministre qui avait déjà occupé ce poste entre 1994 et 1999 et était ministre sortant des Affaires étrangères, est à la fois un cadre respecté du PDCI et un ami de longue date du président Ouattara, économiste comme lui. L’accent résolument mis sur la recherche d’une croissance économique forte capable de réduire le chômage et la pauvreté est salutaire mais il ne saurait être un substitut à des actes politiques visant exclusivement la réconciliation nationale.
La classe politique ne semble pas avoir tiré toutes les leçons de la crise postélectorale et reproduit les comportements qui ont conduit le pays au bord du gouffre. Il est urgent pour le président Ouattara, la nouvelle équipe gouvernementale et l’ensemble de la classe politique dirigeante de ne pas céder à la tentation naturelle de l’arrogance du pouvoir, qui en Côte d’Ivoire, a déjà fait de nombreuses victimes. Il est temps pour les organisations africaines et la communauté internationale dans son ensemble de dénoncer publiquement et fermement les dysfonctionnements du régime ivoirien actuel.

RECOMMANDATIONS

•Pour améliorer la sécurité de l’Etat et des populations

Au gouvernement ivoirien :
1. Encourager et multiplier les initiatives favorisant la cohabitation entre les anciens membres des Forces de défense et de sécurité et des Forces armées des forces nouvelles, qu’il s’agisse de formations, de travaux d’utilité publique ou d’exercices communs ;
2. Accélérer le redéploiement de la police et de la gendarmerie et les doter, d’une part, d’un budget exceptionnel de rééquipement, centré sur les moyens de mobilité, de communication et les conditions de travail et, d’autre part, de l’armement nécessaire à la bonne exécution de leurs missions ;
3. Organiser une conférence à l’échelle nationale, en présence des principaux chefs de la confrérie dozo, afin de délimiter la place et le rôle des chasseurs traditionnels dans la société et dans l’appareil de sécurité ainsi que le type d’armes qu’ils sont en droit de détenir ; et entreprendre d’identifier, de désarmer et de réinsérer les « faux Dozos » dans la vie civile ;
4. Fixer à l’Autorité pour le désarmement, la démobilisation et la réinsertion (ADDR) une date butoir pour effectuer son travail d’identification et de réinsertion des ex-combattants et rendre publique cette date ; et encourager l’ADDR à identifier les opportunités de réinsertion que l’économie peut immédiatement générer et les attribuer à un nombre réaliste d’ex-combattants correspondant.

Aux gouvernements du Ghana et du Togo :

5. Exécuter, dans le cadre des contraintes légales propres à leur pays, les mandats d’arrêt internationaux lancés par la Côte d’Ivoire contre certains dirigeants ou proches du régime Gbagbo en exil.

Aux partenaires internationaux, notamment la France, les Etats-Unis et l’Union européenne :
6. Demander aux autorités ivoiriennes de définir les objectifs à court terme de la réforme du secteur de la sécurité à partir des problèmes immédiats et orienter leur assistance à la mise en œuvre de cette réforme essentiellement vers l’atteinte de ces objectifs prioritaires.

Au gouvernement ivoirien et aux dirigeants des partis de la mouvance présidentielle :

7. Associer le FPI et d’autres partis de cette mouvance, qui ne sont pas représentés à l’Assemblée nationale, aux débats les plus importants du quinquennat, notamment ceux portant sur les réformes institutionnelles et la réforme du code foncier rural.
8. Modifier la composition et le fonctionnement de la Commission électorale indépendante (CEI) en vue des prochains scrutins locaux et régionaux, prévus pour 2013, dans le sens d’un rééquilibrage de la représentation des différentes forces politiques, en attendant une réforme en profondeur du dispositif électoral dans le contexte plus large d’une réforme constitutionnelle.

Aux dirigeants du Front populaire ivoirien (FPI) et aux personnalités politiques proches de l’ancien régime Gbagbo :

9. Condamner sans ambiguïté toutes les actions visant à déstabiliser le gouvernement et à entretenir un climat d’insécurité, se démarquer nettement des personnalités civiles et militaires du régime Gbagbo, actuellement en exil, qui restent animées par une volonté de revanche militaire, et accepter l’offre de dialogue politique faite par le gouvernement.

•Pour promouvoir la justice et la réconciliation

Au président de la République de Côte d’Ivoire :

10. Lancer un appel à l’ensemble des partis politiques qui disposent d’élus pour qu’ils se réunissent et demandent publiquement et collectivement pardon aux Ivoiriens pour l’ensemble des souffrances infligées aux populations depuis le coup d’Etat de décembre 1999.

Au ministre de la Justice :

11. Clarifier la situation juridique de certains proches du président Gbagbo emprisonnés en Côte d’Ivoire, notamment son fils Michel Gbagbo et l’ancien président du FPI, Pascal Affi N’Guessan ; et libérer les membres de l’ancien régime ou de l’entourage de l’ancien président qui sont détenus sans base juridique solide.

12. Apporter rapidement des suites judiciaires non sélectives aux conclusions du rapport de la Commission nationale d’enquête sur les violations des droits de l’homme et du droit international humanitaire commises en Côte d’Ivoire dans la période postélectorale allant du 31 octobre 2010 au 15 mai 2011 inclus, rendu public au mois d’août dernier.

Au président de la Commission Dialogue, Vérité et Réconciliation :

13. Installer au plus vite, avec le soutien de la société civile, les délégations locales de la CDVR, sans toutefois conditionner le démarrage de leurs travaux à l’ouverture simultanée des 36 comités prévus, qui doivent être installés progressivement, en premier lieu dans des zones prioritaires, comme Duékoué, dans l’Ouest du pays.

Au Secrétaire général de l’Organisation des Nations unies et à son Représentant spécial en Côte d’Ivoire :

14. Renforcer la division en charge des droits de l’homme de l’Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire (Onuci) pour lui permettre un meilleur suivi des violations sur l’ensemble du territoire et une plus grande capacité de formulation des réponses appropriées.

Aux partenaires régionaux et internationaux de la Côte d’Ivoire :

15. Prendre des positions publiques plus fermes et plus fréquentes pour condamner les violations répétées des droits de l’homme et rappeler au président Ouattara et au gouvernement ivoirien les engagements pris en matière de justice équitable et de réconciliation nationale.

Au procureur de la Cour pénale internationale :

16. Poursuivre ses investigations, dont celles qui portent sur les crimes relevant éventuellement de sa compétence et qui auraient été commis entre 2002 et 2010, conformément à la décision des juges de la Cour rendue en octobre 2011.

Fait à Dakar/Bruxelles, 26 novembre 2012
Par International Crisis Group

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