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Reportage/ Lakota et ses prophètes : Que reste-t-il de Zrédji ?

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Que reste-t-il de Zrédji ?

Ils ont défrayé la chronique. On organisait des convois à Lakota pour les consulter. Puis, un moment, silence radio. Notre équipe de reportage est allé dans leurs villages. Gbagrélilé, antre de Zrédji en premier.

Lakota et ses prophètes. Nous nous en souvenons. Dans la cité des Loh (éléphants), on sait tous que ces prophètes ont marqué l’histoire du département. « Ils ont été les premiers arguments touristiques de la ville. Les gens venaient en convoi pour les rencontrer, et forcément Lakota en tirait profit », dit Franck Dago, qui se propose à nous accompagner dans les villages des prophètes. Aucun d’eux n’était installé à Lakota ville. Chacun avait choisi son village comme antre.

Zrédji, le plus connu, est celui qui a le plus investi.

On commence par qui ? Zrédji, répond Franck, notre accompagnateur. Qui questionne aussitôt : « Vous voulez qu’on parte où ? ». La question, le guide du jour la pose parce que Zrédji a eu deux antres. Son village où il a vécu les meilleurs moments de sa science et un autre village qui va l’accueillir lorsqu’il sera chassé de ses terres natales. C’est donc en ‘’exil’’ qu’il décède en 2007.

Comment ça Zrédji a été chassé de son village ? Oui. Au soir de sa vie, il s’est exilé dans un autre village. Mais il a exercé l’essentiel de sa science à Gbagrélilié où il est né.

Nous décidons de nous rendre à Gbagrélilié, où vit toute sa famille et où aussi se trouve son secrétaire particulier. Celui qui l’a suivi partout.

Gbagrélilié a commencé à regretter Zrédji après sa mort

La voie qui mène au village n’est pas bitumée, mais elle est bien pratique, même en temps de pluie. Le Conseil régional l’entretient régulièrement et a surtout installé un pont sur la principale rivière qui rendait la zone inaccessible.

A l’entrée du village, une tombe imposante accueille le visiteur. Zrédji ne repose pas ici. Mais Djéha Djokouéhi, premier professeur agrégé du département. Le village est fier de son fils. Qui a aidé beaucoup d’enfants à devenir intellectuels, cadres. Le village est aussi fier de Zrédji qui a énormément contribué à le faire connaitre. Sa renommée a contribué à moderniser le petit hameau d’alors. Zrédji a construit le marché, l’église catholique et a contribué à installer une école primaire assez impressionnante. « Zrédji a été tout pour nous. Tout. » Djaléga Daligou Antoine, le chef du village à qui nous allons présenter nos civilités, est aussi l’une des personnes ressources pour notre reportage. Il a été le père spirituel du prophète. Il explique son rôle. « Je ne l’ai pas formé. Je l’aidais à identifier les plantes qui soignent telle ou telle maladie. »

Un instituteur récupéré par les génies

L’histoire de Zrédji commence dans une classe d’école. Il était instituteur lorsque « les génies ont commencé à le fatiguer. Ils l’avaient choisi pour qu’ils les serve », explique le chef du village. A l’époque, lui, était juste notable et guérisseur traditionnel. Et Zrédji, fonctionnaire, était chrétien. Les deux hommes ne partageaient pas vraiment les mêmes convictions religieuses. Mais dans ce village, tous les chrétiens croient en la science des guérisseurs voyants, surtout en leurs capacité à contrer les mauvais génies. « On va à l’église, mais on croit en la science de nos parents. » La science de leurs parents ? « Non, ce n’est pas la sorcellerie. C’est connaitre les génies et aussi ceux qui jettent les mauvais sorts. Ceux qui font les mauvaises choses », précise le chef.

Il faut bien insister pour voir la nuance, si tant est qu’on a vu « Les sorciers, ce sont ceux qui font du mal, jettent les mauvais sorts, bloquent les chances des gens. Même à l’église, on en parle. Ce sont les adeptes de satan, du diable. Les prophètes, ce sont ceux qui ont la même science qu’eux, mais qui les combattent parce qu’ils ont décidé de faire du bien », explique Dago Edmond. Il a été le secrétaire particulier de Zrédji. « Le prophète est contre les forces du mal, et à l’église on reconnait l’existence de ces forces maléfiques », ajoute-t-il. Mais est qu’à l’église on ne combat pas ces forces ? « A l’église on le fait. Mais c’est lent. ». Le décor du succès de Zrédji est planté.

Zrédji savait dire ce que ses patients aimaient entendre

Toute la science de Zrédji a été basée sur ce principe : Si vous avez un problème, c’est qu’un mauvais sort vous a été lancé. Si votre dent vous fait mal, ce n’est pas banal, il y a un sorcier quelque part qui la ronge. Vous avez aimé lever un peu trop le coude les week-ends ? Ne vous en voulez pas, c’est un sort. Les femmes, vous les courez ? Mais qui vous a dit que vous avez le choix ? Un oncle quelque part vous a attaché. Vous dilapidez votre solde dans les dépenses intitules et n’arrivez pas à faire face à vos charges ? Juste un mauvais sort de quelqu’un qui ne veut pas votre réussite. Vous ne trouvez pas du boulot ? Votre maigre cv n’y est pour rien. Une nomination tarde à venir dans votre entreprise ? Ne revoyez pas votre compétence. Elle n’y est pour rien. Quelqu’un vous en veut terriblement. Vous ne trouvez pas de mari malgré les nombreux prétendants ? Mais qu’est-ce que votre comportement a à voir avec ? Zrédji savait ce que ses patients aimaient entendre, et il leur en servait bien.

Son histoire à lui était un témoignage. Lorsqu’il n’arrivait plus à enseigner à cause des transes et fortes migraines, c’est au village qu’il a su « que les génies voulaient qu’il se mette à leur service ». L’actuel chef, qui était guérisseur, va l’y aider. « Moi, je connaissais les plantes mais Zrédji, lui, il voyait. » Traduction, les génies parlaient à Zrédji. Les génies, dans le système, étaient les médecins traitants. Ils consultaient les patients, expliquaient le mal à Zrédji à qui, et uniquement à qui, ils parlaient, et lui, le disait aux malades. Le guérisseur jouait le rôle du pharmacien. « J’allais en brousse chercher les plantes appropriées. »

Ce duo va fonctionner à merveille. Le guérisseur aime la discrétion, et Zrédji la scène. Parler, il l’a appris de son métier d’enseignant. Expliquer avec pédagogie, c’est à dire l’art de parler avec ferme conviction au point que l’auditoire ne puisse soupçonner quelque faille que ce soit, il l’a appris au Cafop, l’école qui forme les instituteurs. Je ne sais pas combien parmi nous ont été traversés, même un seul instant, par l’idée même que ce que nos instituteurs nous disaient à l’école pouvait avoir une faille. C’était nos maitres, et ils portaient bien le mot. Zrédji va acquérir sa renommée quand il a réussi à voir en ceux qui venaient le consulter des écoliers. Les enseignants, même nos amis, nous voient toujours en disciples.

Zrédji va accueillir dans le village cinq fois plus de personnes que d’habitants. La restauration va devenir l’activité principale ici. On ne vendait pas le logis mais chaque patient reçu laissait toujours « quelque chose. Quand Zrédji était là, le village vivait. Chacun s’en sortait », raconte, nostalgique, un habitant. Qui ajoute : « Il n’y a pas un habitant du village qui n’en tirait pas profit. Il n’y en pas un seul ».

Zrédji a aussi laissé une réputation de généreux. Toutes les semaines, il organisait une cérémonie de dons. « On s’alignait et il remettait à chaque habitant des dons. De l’argent liquide ou des poulets et bouteilles de liqueur », témoigne un notable.

Les jours de fête, il offrait des bœufs à tout le village. « Il était comme un père pour tout le village. Quand quelqu’un a un problème d’argent, c’est Zrédji. Il offrait des pépinières de plants aux jeunes qui choisissaient la terres».

Toute cette générosité ne va pas empêcher les villageois de se réunir un jour et de le… chasser du village. Comme s’il n’avait jamais été un des leurs. Zrédji ne reviendra plus jamais dans le village qui l’a vu naître. Sauf à sa mort. Il repose au cimetière de Gbagrélilié. Ses réalisations communautaires restent les témoins de sa générosité.

Du prophète demi-dieu au pestiféré contraint à l’exil

Il a fait l’unanimité dans le village. Il a fait le village. En portant loin son nom, en y installant les premières ampoules solaires, en y construisant le marché et l’église catholique. En y bâtissant un logement enseignant de l’école primaire. Il a payé les études des enfants de certaines familles en difficulté et a surtout offert un fonds de commerce à tout le village. Sous Zrédji, le village avait l’allure d’une cité touristique. Il a construit un collège à Zikisso où les enfants du village pouvaient y poursuivre leurs études… « Il nous a vraiment aider », reconnait le président des jeunes.

Et pourtant, le tout puissant Zrédji va tomber en disgrâce. Ses parents vont le sommer à plier bagage. Des palabres ? Pas vraiment. Ici, tout le monde n’est pas sorcier, tout le monde n’est pas ‘’voyant’’, mais tout le monde croit à l’existence des génies. Et ces génies, tout le monde croit que même ceux qui sont bons, comme ceux de Zrédji, ont besoin de contrepartie. En échange de leur générosité. Cette contrepartie qui arrive forcément un jour se paie en vie humaine. La croyance ici est que les génies se payent eux-mêmes en arrachant la vie à un proche de celui à qui ils font bénéficier leur science.

Quand la mort, un jour, fauche un neveu de Zrédji, le village croit que le moment de la contrepartie est arrivé. Seule solution pour que d’autres personnes ne meurent pas, prier Zrédji de quitter les lieux.

Quand le prophète a quitté Gbagrelilié, il n’a plus connu d’apogée. Il n’occupera plus la une des journaux et les convois sur Lakota pour voir ses prophètes se sont stoppés. Il n’a pas eu de successeur. « Si quelqu’un veut faire la même chose, le village ne va pas accepter », explique le chef du village. Il détient toujours la science des plantes qui guérissent, mais n’en fait pas une activité. Tout le monde a été choqué par le sort de Zrédji.

Djaléga Daligou Antoinne dont les plantes ont guéri les patients de Zrédji est encore vivant. Sa science médicinale, il n’en fait rien. Personne ne l’approche, jeunes du village ou chercheur, pour en connaitre le secret. Personne.

Avec Fratmat

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