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Paul Kagame: « Quelle image d’elle-même l’Afrique donne-t-elle au reste du monde? »

Paul Kagame parle des interventions étrangeres en Côte d’Ivoire et Libye et de la Cour Pénale Internationale

Le chef de l’État rwandais Paul Kagame – l’« Iron man » de Kigali selon Jeune Afrique – a accordé un entretien à François Soudan de Jeune Afrique. Kagame ayant décrété que son pays serait désormais anglophone – une directive appliquée à la lettre –, l’entretien s’est déroulé en anglais, désormais première langue étrangère du pays.

Jeune Afrique: Vous avez, comme tout le monde ou presque, regardé à la télévision les images de l’arrestation du couple Gbagbo à Abidjan, le 11 avril. Que vous inspirent-elles?

Paul Kagame: Une sorte de tristesse quant à la façon dont on fait et conçoit la politique en Afrique. Ces images ont quelque chose de tragique, mais elles sont aussi largement artificielles. Elles tendent à démontrer que ce sont les forces d’Alassane Ouattara qui ont procédé à cette arrestation, mais plus je les regarde et plus je vois derrière l’ombre du metteur en scène étranger. Le fait que, cinquante ans après les indépendances, le destin du peuple ivoirien, mais aussi son économie, sa monnaie, sa vie politique, soient encore contrôlés par l’ancienne puissance coloniale pose problème. C’est cela que ces images montrent avant tout.

Si la France est intervenue en Côte d’Ivoire, n’est-ce pas aussi à cause de l’incapacité de l’Union africaine et de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest [Cedeao] à résoudre la crise?

Tout à fait. C’est la conséquence de notre propre échec collectif et individuel. Quand certains États africains créent eux-mêmes les conditions d’une ingérence extérieure dans leurs propres affaires, leur responsabilité est entière. Si votre faiblesse et votre mauvaise gouvernance vous exposent à être manipulé, il est inutile de vous plaindre.

Vous aviez de bons rapports avec l’ex-président Gbagbo. Il vous a rendu visite à Kigali à l’époque où vos relations avec la France étaient rompues. Éprouvez-vous de la compassion pour le sort qui est le sien?

Vous faites erreur. Ceux qui viennent nous rendre visite ne sont pas automatiquement nos amis. Quand un chef d’État exprime le souhait de venir nous voir, il est le bienvenu. Mais mêler l’amitié à cela est ridicule. Les relations du Rwanda avec la Côte d’Ivoire ne sont pas réductibles à M. Gbagbo ou M. Ouattara. Ce sont des relations d’État à État, de peuple à peuple, d’intérêt à intérêt. Les considérations d’ordre sentimental n’ont rien à voir là-dedans.

Aux yeux de la communauté internationale, Alassane Ouattara est légitime, et Laurent Gbagbo ne l’est pas…

C’est un autre problème. D’une part, et nous le savons bien au Rwanda, la communauté internationale ne dit pas systématiquement le droit. De l’autre, toutes les élections ne débouchent pas sur des crises ouvertes. Enfin, je le répète, ce ne sont pas MM. Gbagbo ou Ouattara qui, dans le fond, m’importent. Le peuple ivoirien est-il maître de son destin? Quelle est, en tant qu’Africains, notre part de responsabilité? Quelle image d’elle-même l’Afrique donne-t-elle au reste du monde? Pensons-nous que le spectacle d’une armée étrangère, même sous couverture onusienne, intervenant dans les rues d’une capitale africaine est une bonne chose? Pourquoi nous, Africains, avons-nous laissé se créer ce type de situation? Ayons le courage de nous regarder dans un miroir.

Pourtant, vous êtes l’un des très rares chefs d’État africains à avoir publiquement approuvé l’intervention occidentale en Libye. N’y a-t-il pas là une contradiction?

Non. J’ai dit ce que je pensais devoir dire face à une situation tragique où des civils, des populations entières, étaient victimes d’une agression de masse. Que fallait-il faire à partir du moment où l’Afrique n’a ni les moyens ni l’influence nécessaires pour y mettre un terme? Compter les points? Certes, je n’ignore pas l’argument classique du deux poids, deux mesures : les Occidentaux et l’Otan interviennent là où ça les arrange et pas ailleurs. C’est sans doute exact. Mais cela étant dit, et même si cela relève du « double standard », tout vaut mieux que de rester les bras croisés face à des massacres.

Autre argument avancé par certains de vos pairs: ce qui se passe en Libye est une guerre civile, une affaire purement interne à laquelle les Américains, les Français et les Britanniques ne doivent pas se mêler.

Ce n’est pas mon opinion. Quand un pouvoir tue son propre peuple, cela nous concerne tous.

Kaddafi doit-il partir?

Je crois que Kaddafi est au cœur du problème.

Donc, aucune solution ne sera possible tant qu’il sera au pouvoir…

Libre à vous d’interpréter ainsi mes propos.

La rapidité avec laquelle vous avez fait saisir les avoirs libyens au Rwanda a surpris. Étiez-vous obligé d’aller ­jusque-là?

C’est une coïncidence que la crise actuelle n’a fait que cristalliser. Depuis des mois, nous demandions aux Libyens de respecter leurs engagements contractuels tant dans la téléphonie mobile que dans l’hôtellerie. Rwandatel était au bord de la faillite et Laico se dégradait à vue d’œil. Nous leur avions donné le choix: soit vous investissez, soit nous rachetons vos parts. Leur réponse: des promesses. De toutes les manières, nous en serions arrivés là.

Les interventions étrangères en Libye, mais aussi en Côte d’Ivoire, s’appuient sur un concept nouveau: la « responsabilité de protéger ». En résumé: les droits de l’homme sont universels. Chaque État se doit de les respecter. Si l’un d’entre eux ne le fait pas, c’est aux autres de s’en charger. Êtes-vous d’accord?

Je ne peux qu’être d’accord avec le principe d’une responsabilité de la communauté internationale à l’égard des peuples de ce monde. Le génocide qu’a connu le Rwanda en 1994 est là pour le démontrer a contrario. Cette même communauté avait l’obligation morale d’intervenir et l’on sait qu’elle a failli à son devoir.

Ce sont les mêmes principes et la même doctrine qui fondent l’action de la Cour pénale internationale [CPI]. Et pourtant, vous la critiquez…

La raison en est simple: il y a le principe et l’application du principe. La mise en œuvre de la responsabilité de protéger doit s’appuyer sur une évaluation, une analyse et une connaissance correctes de la situation. Dans le cas contraire, cela s’apparente à de l’ingérence. C’est pour cela que les cas libyen et ivoirien sont à mes yeux différents. Quant à la CPI, je suis totalement pour la justice internationale en tant que principe, mais je suis contre la façon dont cette justice s’exerce et contre la manière dont la CPI opère, particulièrement en Afrique. Je me suis maintes fois expliqué à ce sujet.

[Jeune Afrique 11/05/2011]

 

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