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Lionel Zinsou explique le choix de son entrée en politique

Lionel Zinsou Premier ministre du Bénin

Lionel Zinsou : « Le pouvoir doit être sobre et efficace »

Dans cette interview exclusive accordée au Monde Afrique et à l’agence Ecofin, Lionel Zinsou, technocrate devenu homme politique, explique le choix de son entrée en politique, ce qu’il pense pouvoir apporter au Bénin en dix mois avant la présidentielle de février 2016 ainsi que sa compréhension du pouvoir et des hommes politiques.

Vous venez d’être nommé premier ministre du Bénin. Pourquoi vous engager en politique dans ce pays ?

La première raison, c’est qu’on me l’a demandé, et avec des arguments que j’ai trouvés très convaincants. L’un de ces arguments est que ce pays doit mobiliser toutes ses compétences, notamment des compétences qui viennent de cultures différentes. Je pense que la culture du privé ou du monde associatif sont deux cultures très intéressantes pour l’État. Je trouvais aussi que j’avais l’âge pour accepter l’expérience. Je ne voyais aucune raison de dire non d’autant que la société PAI Partners, à la tête de laquelle j’étais, était prête au changement étant donné que j’avais annoncé ma succession il y a trois ans. Je pensais partir pour mon 61e anniversaire, fin octobre. Mais il n’y a pas de différence entre fin juin et fin octobre…

Mais pourquoi s’engager au côté d’un président qui est non seulement en fin de mandat mais aussi en perte de vitesse ?

Le président de la République est complètement président de la République. Qui dirait que Barack Obama n’est pas le président des États-Unis sous prétexte qu’il a, comme à peu près tous les présidents américains, perdu les élections intermédiaires ? Il a aujourd’hui un Congrès qui est beaucoup plus dans l’opposition que ne l’est l’Assemblée nationale au Bénin. Qui dirait que tel ou tel président en Europe, parce qu’il n’a que 20 % ou 30 % de popularité, n’est qu’un président limité ? Les institutions en démocratie ont un temps constitutionnel. Ce temps constitutionnel, il faut le respecter, c’est fondamental. Si nous n’avons pas beaucoup de ressources naturelles au Bénin, nous avons des ressources culturelles, intellectuelles. Ainsi que des ressources juridiques, puisque nous sommes un État de droit. Et dans cet Etat de droit, Thomas Boni Yayi est un président jouissant de toutes ses prérogatives.

Vous êtes un économiste de grande renommée, très influent dans le monde des affaires. Que pensez-vous pouvoir apporter au Bénin ?

La question, ce n’est pas tellement de savoir si j’ai une expérience internationale ou un carnet d’adresses de financiers internationaux à mettre à la disposition du pays. Il y a une certaine tradition d’efficacité du privé. PAI Partners n’est pas devenu le premier fonds d’Europe continentale par hasard. C’est cette tradition que je crois pouvoir mettre à la disposition du pays.

Quel est votre agenda et que pouvez-vous faire en dix mois ?

Dix mois, c’est tout de même assez court pour l’action publique. Mais cela permet de dire quelle est la direction, quelles sont les valeurs, quels sont les objectifs. À mon avis, quand vous avez dix mois, vous devez lancer certaines réflexions à long terme, une réflexion pour dix ans. Mais vous devez mettre en premier tout ce qui concerne la vie des gens dans les dix mois qui viennent. Vous n’avez pas le choix. Oui, il faut qu’il y ait des équipes qui s’occupent de prospective. Il faut les encourager. En dix mois, on se demande : « est-ce que des gens qui ont un problème pour acheter des livres scolaires vont avoir une solution pour que leurs enfants aient accès aux livres ? »

L’unanimité des familles considère que leurs enfants vivront mieux qu’eux parce qu’ils auront reçu de l’éducation. Pourtant, il y a encore des gens qui ont des problèmes d’accès à l’école. Il faut qu’on puisse scolariser ces enfants. Il y a un problème d’assainissement de l’eau lié aux inondations et à la hauteur de la nappe phréatique. Aujourd’hui, 70 % de l’énergie consommée dans nos campagnes, c’est le charbon de bois, d’où la déforestation. C’est intenable comme situation parce que cela crée une grande vulnérabilité climatique. La question d’être capable de fournir à des ménages d’autres sources d’énergie est une question compliquée. Il ne s’agit pas de construire un grand barrage et de grandes lignes à haute tension, mais d’offrir dans un périmètre très décentralisé l’accès à d’autres formules comme la biomasse ou le solaire. Les États ne savent pas très bien gérer les petits problèmes décentralisés. Il faut agir et montrer la voie à partir d’expériences pilotes.

Vous avez longtemps servi la France et vous vous apprêtez à servir le Bénin. Comment pensez-vous pouvoir concilier les intérêts des deux pays, qui ne sont pas toujours convergents ?

Mon expérience au service de l’État français, c’est une expérience d’enseignant. Je fais partie du corps des professeurs agrégés des sciences économiques et sociales. Et pendant trois ans, j’ai servi le premier ministre Laurent Fabius, qui avait besoin dans son équipe de ce qu’on appelle un « agrégé sachant écrire ». Je ne considère pas que ce sont des sujets où s’opposent beaucoup des stratégies d’Etat à Etat. D’autre part, je pense qu’il y a une très grande amitié entre la France et le Bénin. La vie des binationaux en France et au Bénin est sans grand nuage. Donc ce thème de la divergence des intérêts qui serait vécu intérieurement par des gens qui du coup seraient dissociés de la moitié d’eux-mêmes, qui seraient en faveur d’un pays ou de l’autre, est absurde. Quand je suis au Bénin, je suis 100 % béninois. Mes pères sont béninois, mes valeurs sont béninoises, ma loyauté est béninoise, cela ne souffre d’aucune ambiguïté. En ce qui concerne les intérêts français, il y a des pays qui seront plus sensibles que nous. On ne produit pas d’uranium, pas encore de pétrole, on n’a pas de conflits d’intérêts importants et au Bénin, les entreprises étrangères sont les bienvenues.

Après la surprise de votre nomination, beaucoup disent qu’il faut voir en vous le dauphin du président Boni Yayi. Qu’en est-il ?

La première chose que cela m’a inspirée, c’est que plutôt que de prendre comme symbole un caméléon ou un requin, pourquoi pas le dauphin, puisque c’est un animal que l’on aperçoit au large de nos côtes, selon les saisons. Mais je me suis dit que si je le faisais, les gens y verraient une confirmation de ce que vous dites, et je n’allais pas faire ce plaisir à la Nouvelle Tribune ! [média béninois ayant affirmé le 12 juin que Lionel Zinsou était désormais le dauphin du président]. Ceci dit, vous connaissez la phrase du général De Gaulle qui disait qu’il n’y avait pas de souci à se faire pour savoir qui lui succéderait et qu’à son avis, ce serait le trop-plein. D’une façon générale, quand vous êtes à un an d’une présidentielle, vous ne vous inquiétez absolument pas, il n’y a aucun risque que nous n’ayons pas de président. Nous allons avoir énormément d’excellents candidats et d’autres, d’ailleurs (rires). Je ne pense pas que le président se cherche un dauphin.

Que pensez-vous du pouvoir et des hommes politiques ?

J’ai toujours dit que j’avais du respect pour les hommes politiques. C’est très rare, les gens qui ont du respect pour les hommes politiques. Dans la plupart des pays, quand vous cherchez à classer les professions, les hommes politiques ne se retrouvent presque jamais en tête. À la différence de l’immense majorité des gens, je respecte le désintéressement dans ce métier. Il y a des gens respectables qui exercent leurs fonctions de façon intègre, en y sacrifiant leurs vacances, leurs soirées, leurs week-ends. C’est pour ça que j’ai toujours dit que je respectais ce métier.

Cela ne veut pas dire que j’ignore la corruption ou la mauvaise gouvernance. Je ne suis pas complètement naïf. Il y en a qui cherchent dans le pouvoir les vanités, dans le sens de l’Ecclésiaste. Le pouvoir, c’est l’argent, les dorures, les cérémonies, les protocoles, les honneurs. Tout ça, je n’y crois pas du tout. Je vous assure que dans la vie, il est plus simple d’être patron d’une grande entreprise que d’être président d’une République.

Pourquoi ?

Les patrons des multinationales de ce monde, dans leur train de vie, dans les problèmes qu’ils embrassent, dans les honneurs qu’ils reçoivent, dans leur facilité à faire bouger les lignes, je vous assure qu’ils sont beaucoup plus puissants. La question n’est pas du tout dans la gloire et la vanité. Je crois que le pouvoir doit être sobre, parce que c’est une fonction publique. Le pouvoir doit être sobre et efficace. Je ne viens pas y chercher le luxe, l’ostentation et la vanité, non pas parce que je suis au-dessus de cela, je ne vais pas dire que je suis un saint, un moine soldat, non ! À mon avis, la politique n’est pas le lieu où ces choses doivent se produire. Je ne crois pas qu’il faille faire de la politique avec ce genre de désir. D’ailleurs, la politique n’est pas de l’ordre du désir mais relève de celui de la gravité et de la responsabilité.

Ne sera-t-il pas compliqué d’exercer le pouvoir dans un pays dont vous semblez « déconnecté » ?

Notre pays étant très complexe, de temps en temps des gens me disent : « tu n’y comprendras rien, d’abord tu es trop déconnecté, et ensuite le système politique béninois est terriblement complexe, opaque, cruel… ». C’est sûrement vrai. Je ne connais pas grand-chose à l’Afrique, mais j’ai quand même été conseiller des gouvernements du Sénégal, du Bénin, du Burkina-Faso, de la Côte d’Ivoire, du Cameroun et du Gabon quand j’étais économiste et banquier d’affaires.

Tous les systèmes politiques sont très complexes. Certains sont très cruels, tous sont très complexes. Le Bénin n’échappe pas à la règle. Cela demande beaucoup de sacrifices de sa vie personnelle. J’ai des enfants qui ont la trentaine, et donc ces sacrifices personnels qu’on ne peut pas faire quand on a une jeune famille, on peut les faire quand on a dépassé l’âge canonique.

Vous arrêterez-vous alors à la primature ou pourrait-on vous voir briguer la magistrature suprême ?

Si l’on montre en dix mois que l’on peut faire progresser l’accès à l’électricité, à l’eau, aux soins, à l’éducation, à la lecture à des gens qui en sont privés, ces gens demanderont que l’expérience continue et s’amplifie. Avec moi ou avec d’autres, ce n’est pas le sujet. Ça continuera et ça ne s’arrêtera pas. Je trouve que c’est ce qui est intéressant. La première chose que nous devons réaliser, c’est d’apporter la preuve que c’est possible, et qu’il y a une méthode pour le faire.

Je vois nombre de très bons présidentiables qui pourront poursuivre. Je n’ai pas d’amour-propre de candidat, je n’ai pas d’ego de président. Ce que je dis, c’est : « Pour l’instant, est-ce qu’on peut trouver de bonnes méthodes, est-ce qu’on peut s’occuper des vrais problèmes, est-ce qu’on est bien d’accord sur ce que sont les vrais problèmes et est-ce qu’on peut essayer de les résoudre ? » Si la réponse est oui, s’il y a une vision de l’avenir, rien n’arrêtera les Béninois.

Normalien de l’École Sup (France) qui fut une des « plumes » de Laurent Fabius, ancien cadre de Danone, banquier d’affaires chez Rothschild, président de PAI Partners, le plus gros fonds d’investissement français et président de la Fondation AfricaFrance.

Avec Lemonde

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