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A la rencontre d’Ananias Léki Dago, le Photographe Afropolitain dont parle tout Abidjan…

Photographer Ananias Léki Dago by Julian Njoroge

Ananias Léki Dago

Le repos du photographe, c’est la lecture. Il est peut-être vrai que cette assertion ne s’applique pas à tous les photographes. Mais Ananias Léki Dago l’a faite sienne. Les soirs, quand il réussit à échapper à la vigilance de ses nombreux visiteurs, Le photographe Léki Dago se plonge dans la lecture du Livre « Cahier d’un retour au pays natal » de l’écrivain Martiniquais Aimé Césaire qu’il épluche intensément page par page. Y voit-il de la ressemblance avec son vécu du moment? Certainement, car après une décennie de villégiature artistique aux quatre coins du monde, l’artiste Dago (nom qui signifiait nigaud en Côte d’Ivoire dans les années 80) est rentré dans son pays d’origine. Et comme le fils prodige, l’homme semble personnellement surpris de l’accueil qui lui est réservé. La Fondation Donwahi, pour l’art contemporain, basée à Abidjan lui accorde d’être honoré pendant deux mois par une exposition monographique.  Et comme si cela ne suffisait pas, quand on arpente le Boulevard Latrille, le plus grand boulevard du quartier le plus cossu de la ville, il est impossible de louper du regard cette inscription en blanc « sur le côté gauche de la voie, en allant aux 2 Plateaux, le long du mur rouge de la Fondation Donwahi: ANANIAS LEKI DAGO. Juste ceci sans aucune autre information » comme il s’en amuse personnellement sur son mur Facebook. A l’image de Drogba et de Murielle Ahouré, la Côte d’Ivoire a décidé d’honorer ce fils qui lui fait aussi honneur à l’extérieur. Et avec Léki Dago, la photographie a décidé de ne plus se confiner seulement dans les salons privés. Elle se réclame de la lumière, c’est alors à la lumière de la conscience collective qu’elle veut désormais s’imposer. Cette perspective est si coriace que monsieur Charles Konan Banny, le président de l’organisme en charge de la réconciliation nationale après les affres de la guerre postélectorale qui a endeuillé le pays, et même Bernard Dadié, l’homme de culture le plus honoré de la Côte d’Ivoire sont venus personnellement à la rencontre d’Ananias Léki Dago. Nous n’avons pas voulu nous soustraire au cérémonial. Pour comprendre la substance de l’exposition qui fait tant parler d’elle actuellement sur les bords de la lagune Ebrié, nous sommes allés à la rencontre du premier concerné, le photographe Ananias Léki Dago. Interview :

 

IvoireDiaspo : Comment ton expo est-elle objectivement vécue? As-tu l’impression que le regard sur la photographie a positivement changé? 

Ananias Léki Dago : Il faut tout d’abord reconnaitre que cette expo est venue à un moment où le besoin se faisait sentir. Une expo de cette envergure notamment dans le domaine de la photographie, est en quelque sorte une grande première. Et puis depuis la crise (qui a duré à peu près une décennie) la chapelle photographique avait été délaissée. Donc dans un contexte pareil la réception d’une proposition de ce type doit s’apprécier à différents niveaux et tenir compte de la capacité de lecture de chacun. Les connaisseurs l’apprécieront suivant des attentes dues à leur position et les non connaisseurs l’apprécieront également à leur façon. C’est tout un monde qui reçoit cette exposition. Et c’est un processus qui vient à nouveau d’être enclenché en faveur de la photographie.

Ananias Léki Dago by Julian Njoroge

IvoireDiaspo : Veux-tu dire qu’il y a un public à Abidjan qui soit favorable à la photographie artistique au point d’acclamer une telle expo? 

ALD : Il est latent. Il a aussi besoin d’être nourri régulièrement, d’être éduqué. Il y a bien entendu la question du contenu qu’il faut prendre en compte. Si ce qui est proposé va dans le sens des préoccupations du public il y aura un intérêt. Il faut  certes proposer à manger mais également se soucier du contenu de ce qu’on propose aux invités. Il faut les nourrir mais bien les nourrir.  

IvoireDiaspo : A propos, parlant du contenu, le public s’identifie-t-il avec les personnages de tes photos?

ALD : Le concept de l’exposition vient du fait que les séries proposées tournent autour des villes africaines, d’où le titre « Afropolitain » et d’après mon constat le public a été sensible aux photos dans la mesure où il découvre ce qu’est l’autre voisin, ce qu’est la culture du voisin qu’il connait en fait très peu.

IvoireDiaspo : Justement comment est ce regard de l’autre? Condescendant comme d’habitude pour les Ivoiriens? Ou est-ce un regard de communion ? 

ALD : Non nous avons affaire à un autre Ivoirien. Les mentalités ont changé ou sont en train de changer. La crise nous a appris beaucoup et je pense que nous avons appris d’elle en retour. Et ces photos proposées insistent sur un autre regard de l’autre. Par exemple, BAMAKO CROSSES qui est une des séries montre aux ivoiriens ou Abidjanais un Bamako complètement différent, avec une histoire insolite. Et c’est aussi le cas de MABATI concernant Nairobi ; ainsi que SHEBEEN BLUES sur Johannesburg. Nous sommes en effet confrontés à la question de l’altérité, au déplacement vers l’autre-moi pour se découvrir et apprendre sur ce qu’on est, car on ne se découvre pas en regardant rien que  son propre nombril.

 


IvoireDiaspo : Thème fascinant!

ALD : En effet…

IvoireDiaspo : Je vois à travers les photos de ton exposition, que ton voyage a porté sur l’Afrique subsaharienne. Est-ce vrai?

ALD : Oui en grande partie en Afrique subsaharienne mais je suis aussi passé par le Proche-Orient, Le Liban, Cuba et L’Europe. Mais la question de l’Africain, du Noir où qu’il se trouve est au centre de mon propos 

IvoireDiaspo : Et qu’as-tu découvert à ce niveau? 

ALD : Ben, au Liban j’ai découvert qu’il y a des Noirs Libanais qui y ont été déportés par le fait du commerce des arabes. Aujourd’hui ils sont comme une goutte de café noir sur du lait. On les trouve à Tripoli, au nord de Beyrouth et dans le quartier de El Mina, en face du port.

J’ai aussi appris sur les enjeux de l’identité noire dans la traversée du monde. 

IvoireDiaspo : Les Noirs du Liban, sont-ils toujours esclaves ou affranchis?

ALD : Visiblement ils sont des citoyens comme les autres libanais de peau blanche. Je ne peux pas dire grand-chose là-dessus puisque je n’ai pas vraiment creusé la question de leur statut. J’étais aussi limité par la langue puisque je ne parle pas l’arabe. 

IvoireDiaspo : Parlant du regard de l’autre. As-tu voulu par cette exposition montrer à la jeunesse que l’herbe n’est pas toujours verte de l’autre côté? 

ALD : Heu, non pas exactement de cette façon. Ce n’était pas le but recherché.

Dans ma position d’africain doublé du casque de photographe je suis bien conscient du pouvoir de ce médium. En conséquence je m’inscris  dans la démarche de l’Afrique qui parle d’elle-même, des africains qui parlent d’eux-mêmes.  Je parle de nos préoccupations, de nos réalités avec poésie sans tomber dans le piège du misérabilisme. Car je refuse pour l’Afrique la place de la victime. Je suggère à travers mon regard une vision qui va de l’autre côté du miroir. Cette manière fait nécessairement sens et pousse à la réflexion sur des problématiques qui nous touchent dans ce monde.

IvoireDiaspo : Pour parler de tes origines, quel est l’impact de ta culture Dida (la langue de ses parents dans le sud de la Côte d’Ivoire) dans ton travail et particulièrement dans ces voyages?

Es-tu allé à la recherche de ta culture, pour ressortir ce qu’elle a en commun avec d’autres peuples noirs?

ALD : Je suis un Dida d’Abidjan et ne connais pas grand-chose de la culture profonde Dida. Je suis un Dida qui s’inscrit dans la mondialisation. Et ce qui me permet d’affirmer que je suis Dida, c’est juste mon nom. En revanche je sais que les Dida sont un peuple qui se singularise par un caractère bien trempé, un penchant pour les choses culturelles. Alors est-ce que ces quelques points agissent en moi?

A gauche Franck Ekra, Commissaire de l’exposition et à droite Ananias Léki Dago

IvoireDiaspo : Oui, dans une certaine mesure. 

ALD : Si tu le dis… (rires) Je sais, par exemple, que le Dida exprime les choses avec une certaine intensité et moi j’ai cette tendance qui apparaît dans mon langage photographique. Faut-il y voir un lien ? 

IvoireDiaspo : Terminons par cet aspect particulier de ta culture, sachant qu’en Afrique les couleurs sont célébrées, qu’est-ce qui explique le choix du Noir et Blanc pour ta photographie? 

ALD : I am a color blind (rires) Ce qui signifie que je suis un Daltonien et je sors tout droit de l’école noir et blanc. En fait,  j’ai vite compris que le noir et blanc correspond à ma vision

IvoireDiaspo : Quand tu dis ta vision, parles-tu d’une vision d’unir le contraste, de mettre ensemble le noir et le blanc? 

ALD : Je fonctionne beaucoup par contraste, contradiction ou opposition noir et blanc. J’y vois des possibilités d’union, de cohérence. Et puis je reste convaincu, comme l’était également l’écrivain noir américain James Baldwin, que le noir détient de la lumière. Plus il est profond plus il recèle d’une lumière qu’il faut savoir percevoir. Scientifiquement c’est prouvé que le noir absorbe la lumière. C’est d’ailleurs pour cela qu’au cinéma les sujets noirs ont besoin de plus de lumière.

Ainsi, arriver à opposer deux zones, l’une noir et, l’autre blanche : revient tout simplement à mettre ensemble des façons différentes d’expression de la lumière. L’une est subtile et profonde et l’autre est éclatante et réfléchit cette lumière. Aussi c’est cette manière de texte caché dans le noir et blanc qui me fascine.

D’ailleurs notre maitre du texte caché, l’écrivain Bernard Dadié a écrit un poème sur cette thématique, je crois que c’est LE PAGNE NOIR. 

Interview réalisée par Serge Daniel Atteby

Quelques photos de l’exposition:

  

Biography Ananias Léki Dago

Ananias Léki Dago was born the 2nd November 1970 in Abidjan, Ivory Coast. After graduating in photography from the Fine Read more

It’s raining by Ananias Léki Dago

It's raining. Abidjan looks gray. It is humid. The soil is wet. It is thundering. People are rushing for getting Read more

Il pleut de Ananias Léki Dago

Il pleut Abidjan paraît gris C'est humide Le sol est mouillé Il gronde Les gens se précipitent vers un abri Read more

Blues Jam session At stand UP Abidjan with Ananias Léki Dago

Blues Jam session At stand UP Abidjan with Ananias Léki Dago playing the harmonica

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