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Jean-Yves Dibopieu: « Pourquoi je me tais !»

Jean-Yves Dibopieu en compagnie de Blé Goudé

Fin Mai 2014-fin Mai 2015, voilà exactement un an que le seigneur m’a sorti des fours (….), après 16 mois de détention. Après ma libération, j’ai pondu une déclaration afin d’expliquer aux ivoiriens et au monde les conditions de notre enlèvement le commandant Abéhi et moi depuis Accra, et celles de ma détention, particulièrement infernales, par l’institution étatique qu’est la DST.
Personne parmi mes proches n’a jamais eu accès à moi et j’étais enfermé et traité pire qu’un animal.
En d’autres mots, ce n’est pas la prison que j’ai faite, c’était simplement une prise d’otage par l’Etat avec tout son appareillage militaro-judiciaire.
Faut-il revenir sur les traces et les détails de cette détention ? Ce sera sûrement à travers l’ouvrage intitulé PEINES ET PLAISIRS que vous aurez l’occasion de parcourir dans les mois à venir.
On ne sort pas d’une telle situation comme si on venait d’un bain de piscine, tout rafraichi. Au contraire, j’ai trainé beaucoup de séquelles physiques et morales qu’il m’a fallu du temps pour réparer. Mais le seigneur s’en est chargé.
Cependant, assez de choses dégoutantes et écœurantes se déroulent sous nos yeux. Alors une question légitime court les lèvres : Pourquoi on ne voit pas Dibopieu ? Pourquoi on ne l’entend pas ?
Et bien, après un an de réparation physique, morale et intellectuelle, je peux me permettre de vous dire :
POURQUOI JE ME TAIS ?
Il s’impose nécessairement à moi aujourd’hui un temps d’intense réflexion, d’observation et d’interrogation. C’aurait été au sein d’un parti politique ou d’une quelconque organisation, on aurait parlé de bilan. C’est donc une attitude de personne normale, c’est une attitude responsable. Cette période que nous traversons, me semble être un tournant, voire un carrefour significatif pour nous.
Quand c’est un véhicule ou un quelconque engin, à ce stade, il ralentit, avec la plus grande attention. Qu’en sera-t-il alors d’un homme doté de toutes ses facultés ? Un homme qui a vu, entendu et vécu toutes les choses de l’exil et de la prison ? Un homme donc qui sait beaucoup, peut-être même qui sait trop ?
Se jette-t-il tel un fauve dans un combat ?
Je veux partager avec vous, dans ce récit, juste une partie des choses qui fondent mon silence.
En effet, dès ma sortie de prison, malgré mon état de santé encore très précaire, rempli d’espoir pour la suite du combat, j’ai rendu visite à un certain nombre de nos cadres à leur domicile.
Accompagné de certains de mes camarades, j’ai d’abord rendu visite au Président Pascal Affi N’guessan. Quelques jours après, j’ai visité le ministre Douati Alphonse. Je suis passé voir le ministre Lida Kouassi à son tour. Puis enfin, j’ai visité l’ex DG du port Marcel Gossio.
J’ai ressentis les prémisses de cette crise qui secoue aujourd’hui le parti grâce à certains qui ont bien voulu s’ouvrir à moi. A ceux-là, je me suis contenté de dire qu’ils avaient la capacité de trouver une solution en interne.
Quelques jours plus tard, c’est avec tristesse que je découvre dans la presse les problèmes du parti, exposés, nus.
Et les attaques commencèrent, les coups provenant de n’ importe où. La passion était si forte que je présageais avec amertume ce à quoi nous assistons aujourd’hui.
Voilà comment je me suis rebiffé, après avoir résolu de ne m’afficher ni à droite, ni à gauche. C’est ma façon à moi de protester, et je l’assume.
Et comme il fallait naturellement s’y attendre, le régime, perché depuis le balcon de son piédestal, se frotte les mains, observe et manœuvre. Et l’on ne peut que se débattre dans les jérémiades solitaires et dispersées.
Au vu de ce que je sais, et ce que je vois, je comprends que l’on n’a vraiment pas tiré les leçons et n’a pas non plus encore pris la vraie mesure de l’adversaire, voire l’ennemi en face.
En effet, avant la prison, j’ai passé deux(2) ans en exil : 1 an et 6 mois à Lomé et six(6) mois à Accra. Lorsque j’étais en prison, je m’interrogeais sur l’attitude de nos compatriotes là-bas, et en particulier nos cadres. L’exil est un tremplin pour la plupart, pour assouvir des désirs malsains loin du regard du peuple ivoirien. C’est le lieu d’expression des vices incroyables. Ces comportements étaient-ils nés subitement du fait du stress de l’exil ou alors émaillaient-ils le quotidien de nos gens depuis ici ? Je ne saurais répondre.
Mais ce que je sais, c’est que l’exil n’a pas pu servir pour se repentir, pour une mise en cause…
Pour nos compatriotes qui sont restés au pays, c’est peut-être difficile de comprendre, mais pour nous qui sommes allés en exil, il n’y a pas de doute.
Sur le plan politique, c’est pire, il n’y a aucune entente. Chacun pense avoir eu l’occasion pour devenir ce qu’il n’a jamais été. Ainsi, tout le monde est devenu chef dans un désordre indescriptible qui empêche toute organisation constructive.
Dans un tel contexte, les ivoiriens sont abandonnés à eux-mêmes. Chacun se bat et se débrouille comme il le peut. Même les camps de refugiés qui devraient au moins attirer l’attention des gens sont livrés à eux-mêmes, laissant les ivoiriens croupir dans une misère sans précédent. A Lomé, pour la première fois que je me suis rendu au camp des refugiés, je n’ai pas pu retenir les larmes. Je ne pouvais pas supporter de voir les ivoiriens vivre sous des tentes comme on le voyait à la télé pour les cas de la Somalie, de l’Ethiopie…
Pendant mon séjour au Ghana, j’ai rendu visite dans un camp de refugiés, AL MINA. J’y étais allé avec l’artiste Gédéon et d’autres amis ; nous avons passé toute la journée jusqu’à la nuit avec les ivoiriens. La misère était au rendez-vous.
Pendant ce temps, ils sont nombreux, ceux qui sont régulièrement entre deux avions, ceux qui vivent dans des luxes plus insolents que lorsqu’ils étaient ici au pays. Ceux qui habitent dans des châteaux dans des quartiers où même des cadres ghanéens ne peuvent avoir accès… Ceux là, ils sont comme des dieux, malgré la triste situation dans laquelle nous étions. N’a pas accès à eux qui veut et leurs désirs sont des ordres. Moyennant leurs fortunes colossales, ils pensaient pouvoir manipuler tous, même ici aux pays. Je sais toutes ces choses, et cela donne à réfléchir.
Au passage, juste pour vous informer, sachez que pendant que j’étais ici en train de mourir en prison, ma femme et mes enfants qui sont restés six(6) mois à Accra avant de rentrer au pays n’ont jamais reçu ni visite, ni soutien, ni même salutation téléphonique de la part d’aucun de nos cadres là-bas.
Dans sa première interview, lorsqu’il est rentré, Paul Mady’s l’a si bien résumé dans cette expression : « Il n’y a pas de solidarité en exil. »
Par ailleurs, une situation des plus fondamentales qui mérite beaucoup d’attention, c’est l’aspect relationnel de nos cadres entre eux-mêmes. Nos cadres sont belliqueux et se plaisent dans des dénigrements et des intrigues politiciennes les uns contre les autres. Déjà même avant les élections présidentielles de 2010, tout l’entourage du Président GBAGBO était en conflit interne les uns contre les autres. Ai-je besoin de rappeler des noms ou des cas ? Ces conflits inutiles ont malheureusement brisé la carrière politique des uns et emporté physiquement les autres. Dans toutes les régions du pays, dans notre camp politique, c’était la guerre interne, alors que l’essentiel était en face.
Et cette guerre interne insensée s’est déportée en exil. J’en veux pour preuve, le cas du ministre LIDA Kouassi. Ce pauvre monsieur, alors qu’il périssait sous le poids de la galère sous mes yeux, était traité par ses compagnons, ces mêmes cadres, de traitre et de collabo à la solde du régime de Ouattara. Il partait de Lomé à Accra pour tenir des réunions de la coordination du FPI en exil. Mais dès qu’il tournait le dos, ses collaborateurs donnaient dans de l’intoxication dont l’unique but était de le déstabiliser parce qu’on craignait qu’il se positionne comme leader des exilés politiques. A Lomé où nous étions, je voyais la peine du père qu’il était à être obligé de sélectionner parmi ses enfants pour aller à l’école parce que ses moyens financiers étaient limités. Et j’ai vu qu’il a choisi de scolariser celle qui était en classe d’examen pendant que les autres restaient à la maison.
Alors, à ceux qui ignoraient toutes ces choses et venaient me parler de deal entre Lida et le régime de Ouattara, je posais la question de savoir ce que Lida gagnait en retour ? Et quand il a été enlevé à Lomé vers la destination Abidjan, la rumeur de deal s’est accrue. Mais la vérité est là, et tout le monde la connait aujourd’hui. Malheureusement les gens n’ont pas le courage de revenir sur les dénigrements proférés hier.
Le cas nous concernant est également éloquent. Quand nous avons été arrêtés à notre tour, et pendant que nous étions détenus dans des mouroirs, ces mêmes démons, fabricants d’accusation de deal, ont refait surface avec toutes les allégations possibles, mettant plusieurs ivoiriens dans la confusion, à notre sujet. Heureusement que le traitement infernal qui nous a été imposé a fini par nous faire blanchir.
Alors comprenez que je ne suis pas du genre à sauter dans le premier bateau d’accusation, contre qui que ce soit aujourd’hui.
Enfin, il se déroule sous nos yeux un ballet politique qui mérite un regard particulièrement critique de notre part. Il s’agit de nos nouveaux amis qui ont pointé le nez et à qui on a ouvert grand les bras.
A mon humble avis, la politique doit être absolument la discipline de la responsabilité, où les acteurs doivent assumer leurs discours et leurs actes. Parce que, sinon cette science qui a pour but de conduire la destinée des peuples et des nations deviendrait monstrueuse et dangereuse.
Des individus qui hier ont traité le Président Gbagbo de tous les noms et de tous les maux, et ont contribué activement à ce qu’il soit aujourd’hui prisonnier-otage, ne peuvent devenir aussi facilement nos alliés. On s’en souvient encore, comme si c’était hier, que des personnes depuis le Golf où ils ont élu volontairement domicile, excitaient une certaine jeunesse afin de marcher sur la RTI parce que ’’Gbagbo n’a pas gagné les élections’’…
D’autres ont simplement et purement cautionné le casse de la plus importante firme économique de la sous région (la BCEAO) dont ils avaient la charge, afin que cela serve de financement à la rébellion contre Gbagbo…
D’autres encore s’étaient tranquillement retirés loin du champ de la polémique post-électorale, et après la tempête, ils sont sereinement rentrés pour enfoncer le clou, comme quoi, ’’Gbagbo a perdu les élections et s’est entêté de rester au pouvoir : il mérite d’être à la CPI où il est.’’
Chers compatriotes, j’estime que la politique n’est pas un lieu où on vient mentir aujourd’hui et revenir demain se dédire. Ce n’est pas un marécage où l’on vient patauger et se vautrer à loisir. L’activité politique doit se dérouler dans le cadre stricte du respect de l’homme et de la vérité avec pour fondement essentiel l’éthique. Les intérêts individuels doivent se plier devant la morale et non l’inverse.
D’aucuns me diront que ’’la fin justifie les moyens’’. Je leur répondrai que cette théorie est révolue et sa caducité se justifie bien par l’état actuel de notre pays. Au delà de tous les grands slogans, nous sommes tous conscients que cette théorie a plongé la Côte d’Ivoire dans un chao militaire, politique et social dont le dénouement reste incertain pour tous.
Au fait, nous devons savoir qu’on n’utilise pas tous les liquides pour éteindre le feu.
A ce stade, je voudrais dire mon soutien indéfectible à l’ensemble de la déclaration de la conférence des évêques de Côte d’Ivoire et en particulier sur la question de la réconciliation. J’invite tous les autres religieux à leur emboiter le pas, car vaut mieux prévenir que de venir en pompier.
La question de la réconciliation doit être aujourd’hui une préoccupation spéciale pour toutes les structures religieuses, diplomatiques, politiques et sociales. La côte d’Ivoire, notre pays, sort d’une crise militaro-politique sans précédant dont les plaies n’ont pas encore su être cicatrisées. La côte d’Ivoire n’a jamais connu de situation carcérale pareille. Ils sont nombreux, les ivoiriens qui souffrent et périssent à travers plusieurs prisons du pays. Ils doivent être libérés. La notion d’exil est toute aussi particulière que la condition des ivoiriens qui y vivent, consacrant du coup une partition, voire une catégorisation entre les enfants d’un même pays. Les divisions et les méfiances sont toujours d’autant réelles qu’on ne saurait aborder une autre élection dans cet état des choses. Pendant qu’il est temps, il faut couragement et honnêtement affronter ces situations afin de les traiter.
Pour terminer, je voudrais rappeler ceci à tous, peuples comme dirigeants des peuples : la vie n’est faite que de moments. Et le moment, c’est ce qui n’a jamais en lui-même sa vérité, c’est-à-dire, ce qui se pose en vue d’autre chose…
Je voudrais rassurer tout le monde que je suis là. Je n’abandonne pas le combat pour la restauration de la dignité des peuples et de l’honneur des opprimés.
Mais c’est le seigneur qui fait toute chose, il domine sur tout et il fait ce qui lui plait. Mon âme bénit son Saint nom et n’oublie aucun de ses biens faits.
Que sa paix et sa grâce soient sur nous.
Jean-Yves DIBOPIEU

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