Contribution sur la récente décoration des soldats de l’Onuci dans l’ouest ivoirien

by Le Magazine de la Diaspora Ivoirienne et des Ami(e)s de la Côte d’Ivoire | 30 septembre 2013 20 h 32 min

« Les officiers, sous-officiers et hommes de troupes du 18ème contingent marocain de l’Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire (Onuci) ont reçu, mercredi à Duékoué (502 km à l’ouest d’Abidjan), la médaille des Nations unies pour leur engagement au service de la paix et de la réconciliation à l’ouest de Côte d’Ivoire. » nous révèle un communiqué de l’Onuci.

Cette distinction onusienne du 25 septembre 2013 salue « le professionnalisme et l’humanisme des soldats marocains ». Ils peuvent être fiers d’arborer cette distinction, preuve d’une mission accomplie avec dévouement et abnégation.

Or le rapport d’Amnesty international rendu public le 29 juillet 2013 nous révèle que près de Nahibly

« Onze puits dans le secteur de l’attaque sont gardés jour et nuit par des soldats et des policiers de l’ONU, mais les autorités n’ont rien entrepris pour les dégager. Si le gouvernement prétexte le manque d’équipement et de matériel, il aurait refusé la proposition de l’ONU de lui fournir de l’aide. »

Alors, est-ce pour cette garde des puits dans lesquels on a jeté les corps que les soldats sont décorés ? Les mauvaises odeurs endurées pendant ces veilles, valent-elles une décoration ?

Et la fin du communiqué d’Amnesty :

« Selon de nombreuses déclarations reçues par Amnesty International, la police de l’ONU a repoussé ceux qui demandaient de l’aide lors de l’attaque et s’est abstenue d’intervenir lorsque les habitants du camp ont été frappés.

Les Nations unies doivent rendre publique l’enquête interne sur les actes de ses soldats et policiers chargés de garantir la protection des habitants du camp durant l’attaque. »

Du fait de la neutralité des soldats de la paix, ils ne sont pas intervenus, n’ont pas éteint les incendies, n’ont pas délogé les agresseurs, ne sont pas venus au secours des victimes de Duékoué une fois encore molestées, blessées, massacrées. Cela vaut bien une récompense ?

Par ailleurs le préfet de Duékoué Jean Baptiste Essis, présent sur les lieux, spectateur imperturbable des feux qui ravagent le camp, n’aurait-il pas pu être interpellé par ces mêmes hauts gradés-décorés, le rappelant à son rôle de gardien de l’Etat et ses institutions, à son rôle de protection des Ivoiriens ?

«Le ministre [du Pétrole, des Mines et de l’Energie] Adama Toungara n’a jamais accepté que le site soit dans le voisinage immédiat de sa résidence de campagne, qui se trouve à Duékoué. Il a toujours été contre la construction du camp», nous révèle le témoignage d’un certain Anderson Diédri mis en ligne par Nicoleg sur le site Mediapart. Est-ce là aussi une piste à suivre pour les enquêteurs qui n’ont certainement pas encore enquêté ?

Concernant le nombre de victimes, là encore silence gêné. Même la Croix Rouge est muette. Selon le responsable de la communication de la Croix-Rouge Côte d’Ivoire, Kodjo Gaba Franck, l’organisation ne peut communiquer aucun chiffre en dehors de ceux donnés par les autorités. Ont-ils reçu des instructions dans ce sens ? Depuis l’annonce – assurément bien en dessous du véritable chiffre – de « 800 morts dans les massacres de Carrefour, ses agents sont désormais sous pression ».

Le gouvernement se tait, la Croix Rouge se tait, l’Onu ne rend pas publique son enquête interne sur “l’incident” de Nahibly, mais les médailles circulent, peut-être aussi quelques bakchichs, pour que tout le monde se taise. Ah, chère Côte d’Ivoire, ce pays de rêve et de vacances, ce Club Med du XXIème siècle où, sous l’œil vigilant de Papa et Maman, toujours entre deux avions, entre deux conseils des ministres, entre deux distributions de cartables, tout le monde s’aime : plus de 6000 grossesses chez les élèves, avec des viols à l’école, même dans le primaire. Et nos chers FRCI et Dozo qui veillent à la sécurité, eux aussi ont leurs critères : racket, violence, brutalité, torture, mépris de la hiérarchie et des autorités. Un témoin oculaire des attaques menées contre le camp d’Agban me rappelait cette constance dans “l’amour” : à l’heure où le camp devait être pris et livré aux nouveaux maîtres des lieux, Wattao a fait savoir au Commandant Abéhi et à ses hommes qu’il fallait que leurs femmes  se fassent belles, se parfument et se préparent pour une nouvelle nuit de noces ! Ce qui revenait à proclamer que les lois de la guerre, censées protéger les civils, étaient désormais devenues celles de la mort pour les gendarmes et du viol à grande échelle pour leurs épouses : et tout cela pendant que l’Onu, postée autour du camp, jouait là aussi son rôle de spectateur « neutre », (offrant de véhiculer les rebelles dans ses chars, épaulée de deux hélicoptères de la Licorne postés de part et d’autre du camp, et qui tiraient), sans » intervenir » officiellement, sans dénoncer cette morale des meurtres et des viols. Misérables casques bleus de l’Onu, braves bêtes dociles qui comme à la fin de la deuxième guerre mondiale pourront bientôt répondre devant un tribunal, comme les fidèles fonctionnaires du Reich et de Vichy : “je ne faisais qu’obéir aux ordres”.

Aujourd’hui, une médaille leur est donnée en guise de bâillon sur la bouche. Mais après les massacres de Duékoué, Guitrozon, Petit Duékoué, Nahibly, faut-il vraiment les récompenser, les encourager ? Est-ce à dire qu’ils doivent s’attendre à en voir encore d’autres ? La coupe n’est-elle donc pas encore pleine ?

Quant aux rescapés, qui, évidemment, n’étaient pas de la partie, ils n’ont pas eu leur mot à dire : il n’étaient pas là pour remercier les soldats marocains d’avoir joué les soldats de plomb sur ces scènes de crimes…

Seuls,  les innombrables cadavres anonymes en sous-sol et dans les puits ont frappé des mains : Avé Onuci, morituri te salutant.

Shlomit Abel, 29 septembre 2013

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