Abidjan: Les dessous de la révolte d’Abobo

by Le Magazine de la Diaspora Ivoirienne et des Ami(e)s de la Côte d’Ivoire | 18 octobre 2012 12 h 03 min

Nord-Sud

Réputée «imprenable», la gare d’Abobo a été déguerpie lundi. Mais l’opération s’est transformée en guerre de tranchée entre les forces armées d’un côté et des centaines de mécontents de l’autre. Pourquoi? Enquête.

Abobo-gare ressemble à un no man’s land depuis lundi, jour du déguerpissement. Les piétons ne s’attardent plus sur les lieux au risque d’être agressés. D’ailleurs, on nous signalait hier matin qu’un pickpocket a essuyé des tirs des FRCI (Forces républicaines de Côte d’Ivoire).

La mairie qui fait face à la gare a pris ses précautions : les employés sortent par une porte dérobée et ne stationnent plus leurs véhicules dans le parking de la façade qui est exposé aux jets de pierres. Quelques uns affirment avoir reçu des menaces de mort. C’est dans cette atmosphère de méthane qui peut exploser à tout moment que nous venons chercher des réponses. Pourquoi Abobo s’est-elle farouchement opposée au déguerpissement alors que les autres communes y ont adhéré ? Que cache cette révolte ? Il faut commencer par chercher des éléments de réponse dans le visage des centaines de personnes attroupées ce matin sur le terrain rasé. Les traits tirés, la mine renfrognée, elles bavardent là où étaient érigés il y a encore quatre jours, leurs box de commerces. A la place, ce sont désormais des gravats, des morceaux de tôles, quelques douilles de neuf millimètres qui illustrent l’âpre bataille de lundi pendant le déguerpissement. Parmi ces individus, Kamagaté Moustapha, l’un des responsables de syndicats de transporteurs s’étonne de notre présence dans ce guêpier. Il est d’autant plus ahuri que nous osons les accuser, eux les syndicalistes, d’avoir fait de la résistance. «Depuis 20 ans, nous sommes à la gare. Les maires, Adama Sanogo et Koné Gogé sont passés à Abobo, mais ils n’ont jamais réussi à nous chasser. Parce que les secrétaires de section des syndicats exigeaient qu’il ait un endroit où nous recaser. Quand Adama Toungara a construit sa nouvelle gare (Sogegare, ndlr), nous lui avons clairement dit qu’elle était trop chère. Mais le maire n’a pas écouté». Conséquence, selon lui, il y eu plusieurs blessés et un mort. Alors qu’il donne des explications, la scène attire des dizaines de commerçants et de transporteurs déguerpis. Nous sommes aussitôt encerclés. Kamagaté veille à ce que personne ne «touche au journaliste». Soumahoro Yaya, un syndicaliste vocifère : «C’est grâce à Abobo que Ouattara est au pouvoir. Quand les chars de Gbagbo nous bombardaient, c’est ici à la gare que la résistance est née. C’est ici que Ouattara a gagné son pouvoir.» Il ne croit pas si bien dire, selon Koné Youssouf, un commerçant qui faisait partie des manifestants, lundi. «Notre industrie, notre port, notre usine, c’est la gare. Nous avons mal au cœur parce que cette gare empêchait nos petits frères de se livrer au vol». Ils se sont battus, dit-il, pour préserver ce seul gagne-pain. Kéita Ibrahim, syndicaliste sur la ligne Abobo-Angré, le soutient : «Après l’arrivée de Ouattara, nous constatons que nous som­mes les premiers visés par sa politique, c’est ce qui nous a énervés. Nous le soutenons, mais nous pensons que c’était trop tôt. Il devait attendre un peu avant de nous chasser». Sylla Djalia, une vendeuse d’articles divers a vu son étal écrasé par un bulldozer. Et c’est en malinké qu’elle se plaint.
Traduction : «Nous nous sommes battus pour éviter qu’on casse notre marché. Maintenant nous voulons ‘‘la solution’’ à tout ceci». Pour cette fille âgée d’une vingtaine d’années, ce déguerpissement est vécu comme l’effondrement de leur uni­que espoir.

Il fallait risquer sa vie pour le défendre. Kady Djénéba, une autre vendeuse d’articles divers évoque une injustice. «Nous avons souffert pendant le régime passé, pourquoi devrons-nous continuer à souffrir sous Ouattara? Nous avons cru que nous serions épargnés». Mais tout ceci ne justifie pas la violence de lundi à Abobo-gare pendant le déguerpissement. Les gaz lacrymogènes, les échanges de coups de feu, les jets de pierres. «Nous n’étions pas armés, rectifie Kéita Ibrahim. C’étaient des jets de pierres que nous avons faits». Les autres répètent la même chose comme une leçon apprise par cœur. Koné Youssouf, un syndicaliste qui était en premières lignes de la révolte, témoigne : «Personne n’a tiré du côté de la population. Le soldat Frci, qui a été tué, a pris une balle venant de ses amis». Mais Kamagaté Moustapha est prudent sur ce terrain. Le syndicaliste est d’accord qu’il y a parmi eux des démobilisés et des Frci qui ont encore leurs business à la gare. «Mais le désarmement a été fait», dit-il. Alors, pourquoi les échanges de tirs entre la foule et les forces de l’ordre? Il n’en sait rien ou feint de ne rien savoir. Le service de communication de la mairie, lui, en sait quelque chose. «Nous avons fait le désarmement mais nous savons que c’était symbolique : tous n’ont pas rendu leurs armes», explique un des collaborateurs d’Adama Toungara. Pour la mairie, ce n’est ni une somme de frustrations ni l’espoir perdu qui a conduit à la révolte. C’est juste une question de business. «Il y a eu la sensibilisation et des mises en demeure. De plus, nous n’avons pas interdit les taxis, les wôrô-wôrô et gbakas (véhicules de transport en commun). Ils peuvent circuler com­me ils veulent dans la commune. Et nous avons décidé des lieux de stationnement avec eux-mêmes. Fondamentalement, il n’y a pas de problème. Mais simplement des intérêts à défendre», indique Valy Coulibaly, le directeur technique de la mairie. Quels sont ces intérêts ? Les syndicalistes eux-mêmes refusent d’en parler. Mais cette phrase de Kamagaté Moustapha situe: «Que fais-tu quand tu as le dos au mur, quand tes intérêts sont menacés ? Ne soyez pas surpris que le taux de criminalité augmente à Abobo».

‘‘C’était un lieu de trafic de drogue’’

Avant le déguerpissement, les services du ministère de la Salubrité urbaine avaient mené leur petite enquête. Le résultat n’était pas fameux. «Nous avons découvert que la gare était un haut lieu de trafic. Que des groupuscules de syndicats prenaient de l’argent aux commerçants en promettant de défendre leurs intérêts», affirme une source proche de la ministre Anne-Désirée Ouloto. «Le 27 septembre, des mises en demeure leur ont été remises. Mais ils nous ont menacés au bureau. Ils nous ont indiqué qu’ils allaient tirer si jamais nous nous aventurions à la gare», ajoute notre source. Selon elle, les syndicats leur avaient clairement signifié qu’ils possédaient des armes et qu’ils n’allaient pas hésiter à s’en servir. C’est pour cela, dit notre informateur, que l’armée a été impliquée dans l’opération. «Il y avait un réseau mafieux là-bas qui ne voulait pas être démantelé. C’est dans cette gare qu’on retrouve les cartes d’identité des gens agressés. C’était un lieu de trafic de drogue. C’est tout ce trafic d’insécurité que nous avons démantelé. Et ils ne voulaient pas se laisser faire».

Les syndicats gagnaient 7 millions par mois

Pour les syndicats qui pullulent à la gare, la résistance d’Abobo s’explique par un ensemble de frustrations et d’espoirs brisés. Mais pour les commerçants, cette approche est fausse. «La résistance qu’il y a eue n’est pas le fait des commerçants. Nous sommes six syndicats de commerçants à Abobo qui n’avons rien à voir avec ça. C’est le fait d’un groupe de jeunes syndicalistes». Ces propos de Djakaridja Traoré, secrétaire général du Collectif des syndicats de commerçants à Abobo, surprennent. Selon lui, ces syndicats de transporteurs encaissent par jour 50 à 100 FCFA à chaque commerçant installé à la gare. «Les vendeurs de CD (Compact disc) et de téléphones portables payent quant à eux, 2000 FCFA la journée. Ils encaissent tous ceux qui exercent du Banco jusqu’au Dépôt. Et récoltent 300.000 FCFA par jour. Et environ 7 millions le mois. Si vous êtes vendeur et que vous vendez au-delà de 18h, vous payez deux fois la journée», explique M. Traoré. Selon lui, ces personnes sont connues des autorités. Cependant, il refuse de donner des noms. Car, dit-il, la plupart sont armés. Sanogo Souleymane, président de l’Union syndicale des transporteurs et chauffeurs d’Abobo (Ustca), confirme : «Presque tout le monde est armé aujourd’hui à Abobo-gare. C’est ce qui a compliqué le déguerpissement». Pour lui, les transporteurs et les chauffeurs n’ont rien à voir avec cette résistance. «Les acteurs du monde du transport sont d’accord pour rejoindre la nouvelle gare. Ce sont les syndicats qui ont manipulé la population pour qu’elle résiste. Parce que leurs gains sont menacés», explique-t-il. Et d’ajouter : «Si les chauffeurs n’étaient pas d’accord, ils allaient faire la grêve».

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Raphaël Tanoh

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